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mercredi 31 mai 2023

La réforme Drainville en éducation rate-t-elle sa cible?

 


         La réforme Drainville en éducation rate-t-elle sa cible?

L’année scolaire 2022-2023 aura été fertile en rebondissements. Si le processus de négociation des conventions collectives de la fonction publique a déjà soulevé quelques polémiques, c’est surtout l’état déplorable de l’école publique qui aura défrayé la chronique. La situation est à ce point grave que deux projets parallèles de refonte du système québécois ont vu le jour.

Une première initiative qui émane de citoyens propose de s’attaquer au problème le plus important qui affecte l’école publique, c’est-à-dire la ségrégation scolaire. Ce mal —bien connu de celles et ceux qui suivent l’évolution de l’instruction publique — se manifeste par une école dorénavant à trois vitesses et, de ce fait, profondément inégalitaire.

Il faut saluer les travaux menés par Parlons éducation[1] : une initiative citoyenne qui émane d’un regroupement d’organismes défendant une école équitable et de qualité. Les forums de consultation se sont tenus ces derniers mois aux quatre coins de la province. Ils ont réussi non seulement à remettre au centre de l’espace public la brulante question des inégalités scolaires, mais ils ont ouvert d’importantes tribunes pour à la fois discuter des problèmes du réseau et définir un nouvel idéal éducatif pour le Québec. Cette heureuse initiative plaçant l’école au cœur de toutes les discussions est un rare exemple de consultation de la population, ses organisateurs aspirant à informer, mais aussi à s’inspirer des débats publics pour réparer un système largement abandonné par un État qui en a pourtant la responsabilité.

La seconde initiative appartient au ministère de l’Éducation du Québec (MEQ). Ce qu’il est convenu d’appeler la réforme Drainville propose non seulement d’accroitre les pouvoirs du ministre de l’Éducation dans l’administration trop souvent opaque des Centres de services scolaires, mais elle prétend opérer un tournant pédagogique avec la création d’un Institut national d’excellence en éducation (INEE). En effet, ce dernier aurait pour but de faire la promotion des pratiques innovantes en enseignement[2]. Ce changement de cap s’appuie aussi sur ce qu’on appelle les « données probantes », à savoir un imposant corpus de recherches scientifiques et de méthodes d’enseignement éprouvées qui sont susceptibles de donner une assise plus solide au réseau d’enseignement pour accroitre les taux de réussite scolaire.

Sans surprise, la réforme Drainville ne tient pas compte du point de vue des premiers concernés, soit les employés du système d’éducation et les citoyens, comme le laissait présager le refus du gouvernement caquiste d’accorder la moindre attention aux forums Parlons éducation. En plus de faire la sourde oreille aux appels à l’aide des travailleurs du système, le gouvernement s’obstine à nier l’existence d’une école à trois vitesses. Ce faisant, il espère probablement passer sous silence l’épineuse question du financement public des écoles privées, une invraisemblable caractéristique du système québécois qui explique en partie le piètre état des institutions publiques québécoises comme ses résultats insatisfaisants en termes de diplomation, d’abandon scolaire ou d’accès à l’enseignement supérieur.

Pour M. Drainville, le salut passe d’abord par l’augmentation des pouvoirs du ministre, ce qui a été dénoncé comme une tentative de centralisation du MEQ similaire à celle promue en santé. Pour le moment, on semble croire, au MEQ, qu’un resserrement des règles de gouvernance et un recours à la recherche de pointe en éducation devraient suffire à améliorer les performances du système public sans qu’il soit nécessaire de remettre ouvertement en question les équilibres actuels de ce dernier.

Comment tourner le dos à la réforme Drainville dès lors que le ministre se réclame des fameuses données probantes que réclament de nombreux chercheurs ? Des données dont on espère beaucoup afin d’améliorer les performances scolaires du réseau québécois ? À cet égard, Normand Baillargeon, spécialiste bien connu en matière d’éducation, déplore depuis longtemps le fait que l’on fasse, au Québec, trop peu de cas des études scientifiques sur les pratiques les plus efficaces en matière d’enseignement. Il ne faut pas s’étonner que, dans sa chronique hebdomadaire au journal Le Devoir du 6 mai dernier, il ait appuyé le projet du ministre. On conçoit mal en effet comment M. Baillargeon aurait pu condamner un changement de cap en éducation qu’il appelle avec conviction depuis des années.

Mais encore faut-il que le ministre actuel de l’Éducation sache reconnaitre ce qu’est une donnée probante. De toute évidence, la négation de l’existence de discriminations graves au sein du réseau public nous signale les limites très réelles du MEQ en ce qui concerne, par exemple, la ségrégation scolaire ou l’école à trois vitesses. Plus encore, il est légitime de douter des prétentions du gouvernement à tenir compte des « données probantes » que son Institut d’excellence pourrait recueillir. En effet, M. Drainville a lui-même dénoncé le soi-disant « biais » des travaux du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) et les résultats des recherches du professeur Pierre Canizius Kamanzi sur l’accès à l’enseignement supérieur des étudiants du secteur régulier[3]… On peut se demander si le désir de restreindre la mission du CSE n’est pas plutôt motivé par son refus d’admettre que le Québec est, de toutes les provinces canadiennes, la plus inéquitable en matière d’accès à l’instruction[4].

Qui plus est, il importe de tirer les bonnes conclusions de l’analyse des données probantes. Sur ce dernier point, la chronique du 6 mai dernier de M. Baillargeon laisse présager de nombreux tiraillements. Il existe en effet de profondes divergences sur l’interprétation des données entre les multiples acteurs du réseau, que ce soit au sein du ministère de l’éducation lui-même, au sein des programmes universitaires de formation des enseignantes et enseignants, des organisations syndicales ou auprès du corps enseignant lui-même. Certains vont même jusqu’à remettre en question le recours à de telles données, qu’ils associent à une approche comptable et utilitariste de l’éducation. C’est peut-être à ces méandres que référait le titre du texte de Normand Baillargeon : « La Révolution ne sera pas tranquille ».

En conclusion, les problèmes soulevés ces dernières semaines au sujet du réseau d’éducation posent de sérieuses questions sur la viabilité d’un système hérité directement de la Révolution tranquille. Le déficit démocratique qui règne au sein de cette institution est considérable, ce que nous rappellent les forums citoyens de Parlons éducation. Or le gouvernement caquiste a préféré balayer du revers de la main cet exercice, ce qui est révélateur du peu de cas que l’on fait de la parole citoyenne dans les cercles du pouvoir.

Benoît Dugas et Renée-Claude Lorimier

Pour le Collectif de convergence citoyenne Ahuntsic-Cartierville (CCC-AC)



[1] Un regroupement d’organismes citoyens voués à la promotion d’une école équitable et de qualité organise Parlons éducation. Ce sont Debout pour l’école!École ensembleJe protège mon école publique (JPMÉP) et le Mouvement pour une école moderne et ouverte (MÉMO).

[2] Ce projet n’est pas nouveau, car en 2017, le CSE avait publié un Mémoire sur la création d’un institut national d’excellence en éducation.

[3] Écouter à ce sujet, sur l’application Ohdio de Radio-Canada, le 5e épisode du balado Chacun sa classe de Karine Dubois et Christine Chevarie.

[4] Voir l’article « Le Québec possède le système scolaire le plus inéquitable au pays », Le Devoir, 2019, qui dévoile les résultats d’un rapport du mouvement École ensemble fondé sur des chiffres inédits de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).


Un budget de 150 000 $ pour améliorer la vitalité des rues commerciales hors SDC.

  https://journaldesvoisins.com/un-budget-de-150-000-pour-ameliorer-la-vitalite-des-rues-commerciales-hors-sdc/